Le marché européen de l’électricité est particulièrement critiqué en France, notamment par Bruno Le Maire, qui le qualifie d'”aberrant” et d'”obsolète”. Le ministre estime en effet qu'il nuit à l'indépendance énergétique française. Malgré ces critiques, la France profite des échanges d'électricité avec ses voisins, grâce à l'exception ibérique et aux exportations décarbonées. L'architecture actuelle du marché, mise à rude épreuve par des crises récentes, présente des avantages et des inconvénients qu'il convient d'examiner de près.

 

Découvrons ensemble les implications de rester ou de quitter le marché européen de l'électricité, en mettant en lumière les réformes nécessaires pour améliorer son fonctionnement dans le cadre de la politique énergétique de l'Union européenne.


 

Les enjeux de la souveraineté énergétique

 

Sortir du marché européen est une solution envisagée depuis quelques années. Toutefois, sommes-nous prêts à en arriver là ?

Une sortie risquée du marché européen de l’électricité

 

Nombreux sont les partis politiques européens qui plaident pour une sortie du marché de l'énergie, invoquant des raisons de souveraineté nationale. Il faut toutefois rester conscient qu’une telle démarche pourrait exposer les États membres, notamment la France, à des risques considérables en matière de sécurité d'approvisionnement

 

En l'absence de moyens de production pilotables suffisants, comme les centrales à gaz et à charbon, l'hydroélectricité et les systèmes de stockage, les prix pourraient en effet atteindre des niveaux très élevés en hiver, voire entraîner des coupures d'électricité. 

 

Face à des tarifs déjà élevés, il convient donc de bien réfléchir avant de prendre une telle décision.

 

L'intégration européenne : un atout en temps de crise

 

L'intégration des marchés européens de l'énergie permet de bénéficier des interconnexions pour optimiser la gestion de la production à l'échelle du continent. Par exemple, en 2022, la France a pu importer de l'électricité en raison de l'indisponibilité de son parc nucléaire. Voilà une parfaite illustration de l'importance des échanges transfrontaliers pour la stabilité de l'approvisionnement.

 

Les conséquences de la crise énergétique

 

La crise énergétique soulève de nombreuses questions qui ne concernent pas seulement la France. D'autres pays de l'Union Européenne, comme l'Espagne et le Portugal, ont également expérimenté une sortie partielle du système européen.

 

Une volatilité des prix sans précédent

 

Les crises récentes, notamment la pandémie de Covid-19 et l'invasion de l'Ukraine par la Russie, ont provoqué une envolée des prix sur le marché de l’électricité, atteignant des niveaux historiquement hauts. Cette volatilité a eu des répercussions directes sur le marché de détail, mettant en difficulté de nombreux consommateurs, tant particuliers que professionnels.

 

Pour les entreprises, le coût de l'énergie représente une part significative des coûts de production. Les petites et moyennes entreprises en ont particulièrement souffert, certaines étant même menacées de faillite faute de pouvoir honorer leurs factures énergétiques. Du côté des ménages, sans les mesures de bouclier tarifaire, beaucoup n'auraient pas pu payer leurs factures.

Les gestionnaires de réseau ont également été affectés par cette volatilité des prix, devant s'adapter rapidement aux fluctuations pour garantir la stabilité de l'approvisionnement et minimiser les impacts sur les consommateurs.

Marché européen de l’électricité : des aménagements sont-ils possibles ?

 

L’Espagne et le Portugal, tout en restant dans le marché européen de l’électricité, ont obtenu une dérogation temporaire. Elle leur a permis de plafonner le prix du gaz utilisé pour la production d’énergie électrique, réduisant ainsi le coût de cette dernière. Mais attention, une telle mesure n’est pas sans conséquences ! Elle induit en effet une taxe aux consommateurs espagnols

 

La France, étant le pays le plus interconnecté d’Europe et historiquement exportateur grâce à son parc nucléaire, bénéficierait difficilement d'une sortie du marché. Quitter ce marché pourrait en effet exposer l’Hexagone à des risques importants, surtout si l’on tient compte de son retard en matière d’énergies renouvelables et des problèmes de capacité de ses réacteurs nucléaires.

 

Les faiblesses du marché européen de l’électricité

 

La crise a révélé la faiblesse du marché européen à envoyer des signaux de long terme, essentiels pour encourager les investissements dans la transition énergétique

 

Le marché de gros, avec des produits à court terme, ne permet pas de sécuriser les revenus des producteurs sur le long terme, ce qui est pourtant nécessaire pour le développement des énergies renouvelables. La volatilité des prix de gros sur les consommateurs finaux a par ailleurs un impact négatif. Elle induit des mesures conjoncturelles coûteuses pour les finances publiques et parfois nuisibles à la décarbonation de l'économie.

 

En parallèle, si les prix de l'électricité ont augmenté, c’est principalement à cause de la hausse mondiale du prix du gaz naturel post-Covid-19. La guerre en Ukraine, exacerbée en France par l'indisponibilité partielle de son parc nucléaire, n’a fait qu’empirer la situation. 

 

Pour atténuer cette volatilité, les États membres ont adopté des mesures non coordonnées, autorisées temporairement par la Commission européenne, afin de réduire la facture des consommateurs (exemple : le bouclier tarifaire). Ces interventions, bien qu'essentielles, ont souvent été coûteuses et inefficaces à long terme, et n'ont pas toujours soutenu les objectifs de transition énergétique.

 

Des propositions de réforme en cours : en route vers la transition énergétique ?

 

La réforme vise principalement à favoriser la mise en place de contrats à long terme d’électricité, entre producteurs et consommateurs. Il s’agit des Contracts for Difference (CfD, soutien public) et des PPA (contrats de gré à gré privé)

 

Développement des Contracts for Difference (CfD)

 

Le CfD est un mécanisme de soutien public qui garantit un prix de vente fixe pour l'électricité produite. Il offre l’avantage de stabiliser les revenus des producteurs et de redistribuer les bénéfices excédentaires aux consommateurs en cas de hausse des prix. 

 

Cette approche pourrait être particulièrement intéressante pour le financement de la transition énergétique et la prolongation de la vie des actifs nucléaires.

 

Encouragement des Power Purchase Agreements (PPA)

 

Les PPA, contrats de gré à gré entre producteurs et consommateurs, sont essentiels pour sécuriser les investissements dans les énergies renouvelables. La réforme propose d'encourager leur développement par des garanties publiques et des mécanismes d'agrégation de la demande. Elle souhaite obliger les fournisseurs et les grands consommateurs à souscrire à ces contrats.

 

Les teneurs de marché publics

 

Pour améliorer la liquidité des produits à terme sur le marché de gros, la mise en place de teneurs de marché publics est proposée. Ces entités seraient chargées de réaliser des opérations d'achat-vente pour stabiliser les prix et accompagner la liquidité du marché.

 

France : le cas de l'ARENH

 

La France envisage de remplacer le mécanisme de l'ARENH (Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique) par des CfD bidirectionnels dans le cadre de la réforme européenne.

 

Qu'est-ce qu'un CfD bidirectionnel ?

Un CfD bidirectionnel (Contrat pour la Différence) est un contrat financier entre un producteur d'électricité et un acheteur (souvent un gouvernement ou une entité réglementaire) qui stabilise les prix de l'électricité. Voici comment il fonctionne :

 

  • Prix de référence : Un prix de référence est fixé pour l'électricité.

  • Prix de marché : Le prix auquel l'électricité est effectivement vendue sur le marché.

  • Paiements bidirectionnels :

    • Si le prix de marché est supérieur au prix de référence, le producteur rembourse la différence à l'acheteur.

    • Si le prix de marché est inférieur au prix de référence, l'acheteur paie la différence au producteur.

 

Ce mécanisme permet de protéger à la fois les producteurs et les consommateurs contre les fluctuations extrêmes des prix de l'électricité.

 

Avantages des CfD bidirectionnels pour la production nucléaire

La mise en place de CfD bidirectionnels pour la production nucléaire présente plusieurs avantages :

 

  1. Stabilisation des prix : En régulant le prix de l'électricité nucléaire, ce mécanisme assure une plus grande prévisibilité des coûts pour les consommateurs et les producteurs.

  2. Redistribution des bénéfices : Les consommateurs peuvent bénéficier directement des gains réalisés lorsque les prix de marché sont élevés.

  3. Sécurité financière pour EDF : EDF (Électricité de France) bénéficierait d'une sécurité financière accrue, assurant les fonds nécessaires pour l'exploitation continue et les investissements futurs dans le parc nucléaire.

  4. Attractivité pour les investissements : La stabilité des prix et des revenus rend le secteur nucléaire plus attractif pour les investissements à long terme.

 

Le remplacement de l'ARENH par des CfD bidirectionnels pourrait offrir une solution équilibrée pour le marché de l'électricité en France, en stabilisant les prix, en redistribuant les bénéfices aux consommateurs et en garantissant les ressources nécessaires pour l'avenir du parc nucléaire français.

En conclusion, faut-il sortir du marché européen ou s’adapter ?

 

La réforme du marché européen de l'électricité représente une opportunité majeure pour renforcer la coopération entre les États membres. Elle permet de stabiliser les prix de l'énergie et d’assurer la sécurité d'approvisionnement. Les mécanismes proposés, tels que les contrats pour différence (CfD) et les accords d'achat d'électricité (PPA), permettraient par ailleurs de financer la transition énergétique, assurant ainsi un mix énergétique diversifié et durable.

 

En définitive, une sortie du marché européen de l'énergie serait une opération aussi risquée que contre-productive. Cela isolerait un État des bénéfices de la solidarité européenne, augmenterait les coûts d'investissement et d'infrastructure, et limiterait l'accès aux innovations technologiques


Au contraire, une réforme structurelle et une coopération renforcée semblent indispensables pour répondre aux défis énergétiques actuels et futurs. En s’adaptant et en participant activement à l'évolution du marché européen, les États membres peuvent non seulement garantir la stabilité et la sécurité énergétiques, mais aussi jouer un rôle de premier plan dans la transition vers un avenir énergétique plus vert et plus durable.